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Rapport DINTHILAC : Synthèse et évolution. Colloque Victimologie Bobigny

31/10/2013

L’indemnisation, sujet de mon intervention, se situe in fine du parcours de la victime lequel, on l’a vu, est souvent difficile, parfois semé d’embuches notamment lorsque de la victime n’est pas orientée, conseillée, guidée et assistée par les interlocuteurs adaptés et compétents : les associations de victimes, le cas échéant les services de police, psychologues puis l’avocat.

Une indemnisation juste, comprise et « intégrale » ne permettra jamais la réparation de ce qui n’est plus ou aurait dû être mais fait partie intégrante d’un processus global d’écoute, de prise en compte de la parole et de la souffrance de la victime, puis de compensation.

On s’approchera de la finalité de « réparation intégrale » qui doit présider toute démarche indemnitaire lorsque la victime, accompagnée dans ce processus par des professionnels aguerris (de l’expert au régleur, en passant par l’avocat), aura ce sentiment d’avoir été entendue et que les répercussions du fait traumatique, temporaires et permanentes, sont justement indemnisées.

On ne saurait aujourd’hui dire que la majorité des victimes, atteintes dans leur intégrité physique et morale, partage ce sentiment…

Le « bilan », nécessairement provisoire et imparfait du fait du temps qui m’est imparti, de l’utilisation de la nomenclature issue des travaux du groupe de travail Dintilhac est globalement satisfaisant, voire, n’ayons pas peur d’être optimistes, positif.

Je n’en dirais par autant du « bilan » du principe phare de la loi du 21 décembre 2006, - recours subrogatoire des tiers-payeur « poste par poste » - lorsque l’on pense à la jurisprudence de la Cour de Cassation concernant l’imputation des rentes accidents de travail dans le cadre de cette subrogation sur les Pertes de Gains Professionnels Futurs, l’Incidence Professionnelle et, pour des motifs critiquables, sur le Déficit Fonctionnel Permanent. Mais c’est là une autre histoire… 

Un bilan donc globalement satisfaisant, un outil précieux, peut-être perfectible, mais qui a le mérite d’être commun à tous les acteurs de la réparation du dommage corporel qui parlent désormais le même langage.

Un bémol néanmoins à ce propos : les juridictions administratives qui malgré la pertinence de l’outil Dintilhac, persistent, sous réserve de quelques juridictions administratives gauloises, à faire application de l’avis du Conseil d’Etat du 4 mars 2007 préconisant, non pas le recours à la nomenclature Dintilhac mais à sa propre nomenclature, étant rappelé que « Dintilhac » comprend 23 postes de préjudice dont certains d’entre eux peuvent  eux même se décliner en différents «sous-postes » de préjudice (je pense notamment à l’Incidence Professionnelle ou au Déficit Fonctionnel Permanent lequel comprend trois composantes bien distinctes : l’altération fonctionnelle, les souffrances permanentes et l’altération de la qualité de vie qui ne doit pas demeurer comme aujourd’hui une coquille vide mais doit réintégrer sa place légitime dans le paysage indemnitaire)  alors que l’avis LAGIER du Conseil d’Etat renvoie à 6 postes de préjudice imposant, de facto, une certaine persistance de l’évaluation « globalisée ».

Un reproche d’ailleurs aussi consistant qu’indu des détracteurs de la nomenclature Dintilhac consiste à faire le constat de cette multiplication des postes de préjudices laquelle  confinerait à une certaine forme de « consumérisme ». La victime serait un consommateur comme les autres, et consommerait sans raison gardée, du postes de préjudice !

Je crois que bien au contraire, l’une des qualités de la nomenclature Dintilhac est non pas de multiplier les postes de préjudice mais de les affiner permettant ainsi de donner prise au principe corolaire de la « réparation intégrale », celui de la réparation individualisée, celui de la réparation in concerto.

Distinguer et affiner les différentes incidences, patrimoniales et extra patrimoniales du dommage, permet d’individualiser au mieux la réparation : on n’indemnise pas nécessairement « plus » (malheureusement !) mais « mieux ».

La nomenclature Dinitilhac, un outil précieux, commun aux différents acteurs intervenant en la matière, fin dans sa présentation permettant ainsi une individualisation de l’indemnisation, permettant également de donner prise au recours des tiers payeurs (sous réserve des errances de la Cour de Cassation sus exposées) et surtout un outil qui a le grand mérite de n’être ni obligatoire (sans valeur réglementaire à ce jour…mais craignons que ces jours soient comptés) ni, de ce fait, exhaustif.

Ce caractère non règlementaire et surtout le défaut d’exhaustivité de la nomenclature Dintilhac permet aux avocats que nous sommes d’œuvrer encore, et plus encore, dans la défense des victimes.

Il est n’est pas inutile de rappeler que le Droit du Dommage corporel est « né » et s’est construit ainsi. C’est parce que nos confrères dans les années 70 ont argumenté et sollicité l’indemnisation d’un préjudice sexuel que celui-ci est devenu un poste de préjudice à part entière, autonome dans son évaluation. C’est parce que d’autres ont tenté d’inciter les juridictions (et je pense notamment à la Cour d’Appel de Paris en 2003) à extraire de ce que l’on connaissait alors sous le vocable IPP, l’Incidence Professionnelle, que l’évolution à terme s’est faite en faveur d’une autonomisation de ce poste de préjudice.

Il faut donc demeurer vigilant, et se battre le cas échéant, pour conserver cette liberté d’action que seule une nomenclature non règlementaire et non exhaustive, permet.

Est-il d’ailleurs besoin de souligner que cette liberté est utilisée à bon escient. Je pense à ces préjudices hors Dintilhac que nos juridictions tendent à reconnaitre : défaut d’information, préjudice de perte de vie (malgré un récent coup d’arrêt de la Chambre criminelle…), préjudice d’effroi ou d’angoisse de mort imminente, préjudice d’anxiété… ?

Il en va de l’intérêt des justiciables de conserver cette « liberté indemnitaire », de l’intérêt des victimes lesquelles sont déjà rares à avoir le sentiment d’être correctement indemnisées et, a fortiori, seront plus rares encore si une nomenclature règlementaire et exhaustive venait scléroser nos pratiques indemnitaires et limiter notre « œuvre de création » toujours guidée par le souci impérieux de permettre une réparation intégrale et adaptée.

Si mon discours est inquiet et méfiant face à une « officialisation » par voie règlementaire de la nomenclature Dintilhac qui ne doit en rien devenir un outil « figé », vous allez trouver mon discours alarmiste, et c’est un euphémisme, concernant le recours de plus en plus courant et décomplexé aux barèmes indemnitaires, autrement qualifiés de référentiels.

Ces référentiels, sous couvert d’être une méthodologie pour les non coutumiers de la matière, et notamment les magistrats, sont en fait de véritables barèmes qui encadrent et limitent l’indemnisation de certaines postes de préjudices, et notamment extra-patrimoniaux, à de simples et restreintes fourchettes indemnitaires prédéterminées in abstracto, faisant ainsi fi des éléments personnels de la victime devant pourtant moduler l’indemnisation.

On pouvait s’inquiéter (tout en comprenant) des barèmes des compagnies d’assurance utilisés comme outils de « prévisibilité »,  s’inquiéter également (tout en les « admettant ») des barèmes officieux internes à chaque Cour et/ou juridiction, s’inquiéter (et s’agacer !) du dévoiement des barèmes des Fonds d’Indemnisation (je pense à celui de l’ONIAM) qui tendent à être présentés comme des outils de « Droit commun » mais que dire alors du récent « recueil méthodologique commun » issu des travaux finalisés en mars 2013 sous l’impulsion de Monsieur MORNET (à qui l’on doit notamment le référentiel inter-cour) de la Cour d’Appel de Paris ?

Le danger de la « barémisation intégrale » n’est pas loin… Car si, et c’est là sa finalité, ce « recueil méthodologique commun » venait à être appliqué par la majorité, voire l’ensemble de nos juridictions, le législateur n’aurait qu’un pas à faire pour lui donner cette valeur règlementaire à laquelle les compagnies d’assurance aspirent depuis bon nombre d’années…

Nulle question de faire preuve de militantisme intégriste et non motivé.

Pourquoi devons-vous nous inquiéter et lutter contre ces barèmes tous les jours sur la scène judiciaire ?

Le temps qui m’est imparti me permettra de souligner deux dangers bien réels.

Tout d’abord, nous ne pouvons être rassurés par l’argument des promoteurs et défenseurs du barème qui aiment rappeler que ce dernier n’est « qu’indicatif », que le magistrat peut s’en écarter si le demandeur lui en donne de bonnes raisons.

Il est un fait que cet « outil » (et j’utilise là le même terme que pour la nomenclature Dinitilhac même si vous avez bien compris que je ne lui accorde pas la même pertinence….) sera consulté non pas par nos magistrats spécialisés, à tout le moins coutumiers de la matière, et qui ont acquis expérience, méthodologie et dont les références sont ailleurs que dans un « condensé » du Dommage corporel (citons parmi les références non « condensées » les éditions spéciales de la Gazette du Palais en Droit du dommage corporel).

Ce sont bien les magistrats non spécialisés comme, balayons aussi devant notre porte, les avocats non spécialisés, qui trouveront un certain réconfort dans le fait de se référer à une indemnisation « normée ».

Or, il est statistique que de dire que majoritairement, et mon propos n’a rien de péjoratif, ceux qui pratiquent « occasionnellement » la matière sont les plus nombreux.

Tout aussi pragmatiquement, on peut donc conclure que les décisions de justice à venir (si l’on conserve une vision pessimiste des choses….) seront principalement au pire « conformes » au barème, au mieux « influencées » par le barème.

C’est donc bien à un nivellement de la jurisprudence par le bas à laquelle nous allons assister.

Par ailleurs, on peut souligner que faire des fourchettes indemnitaires du « recueil méthodologique commun » une référence revient indirectement à faire peser sur l’Expert (qui ne le demande pas) la charge non seulement de l’évaluation médico-légale, ce qui est normal, mais également de l’évaluation indemnitaire.

En effet, si l’on sait d’emblée que le « 3/7 » de l’expert deviendra une indemnisation de 3.000 à 6.000 euros, cela revient à faire de l’expert le décideur indemnitaire….

Et que dire de l’évaluation normée et similaire des « souffrances endurées » et du « préjudice esthétique » à l’euro pour une même évaluation médico-légale. Des souffrances cotées à 3/7 doivent-elles vraiment être indemnisées de la même façon qu’un préjudice esthétique coté à 3/7 ? Quel est le sens de cette indemnisation  identique de deux préjudices qui recouvrent des réalités bien différentes ?

Où se situe l’individualisation, la prise en compte de la victime, sujet et non objet, dans cette indemnisation ? Ce 3/7 et sa fourchette indemnitaire ramassée sur 3.000 euros peut-il sérieusement permettre l’individualisation de la réparation du préjudice en fonction de l’âge (un enfant), de la durée pendant laquelle le préjudice va être subi, du sexe, de la personnalité, de l’histoire personnelle et de la résilience ou non de la victime…

Bien évidemment non.

Ce n’est pas faire preuve d’un militantisme abscons que de s’élever contre cette évaluation barémisée.

C’est au contraire, œuvrer dans l’intérêt de l’indemnisation et des victimes.


En conséquence, sans renoncer au combat de principe, nous ne feindrons pas d’ignorer ces, et surtout ce, référentiel d’indemnisation et lorsque nous conclurons, plaiderons les souffrances et les préjudices de nos victimes, rappelons-nous que nous plaiderons contre notre contradicteur mais également contre le « recueil méthodologique commun » qui ne manquera pas d’être consulté dans le secret du délibéré…