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L'état antérieur de la victime : appréciation et divergences.

07/06/2012
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Par "état antérieur", on entend tout trouble ou affection pathologique, quelle qu'elle soit, connue ou latente, que présente un individu au moment du fait générateur de responsabilité.

Non-dit mais majoritairement admis, que se soient dans le monde des juristes que dans celui des experts, il est admis que cette notion englobe celle de "prédispositions". Et l'on retrouve indifféremment ces termes dans les jugements, avis de CRCI et rapports d'expertise. Je reviendrai sur cette facilité de langage qui, sans être l'unique coupable, participe à la confusion qui règne en la matière.

Cette question, appréhendée par l'expert sous l'angle de l'imputabilité médicale, relève principalement pour le juriste du domaine de la causalité : doit-on considérer l'auteur du dommage comme responsable de l'intégralité du préjudice lorsqu'il n'est pas contestable que la victime présentait une réceptivité particulière au dommage ?

C'est aussi une des questions récurrente concernant la détermination de l'étendue de la réparation du dommage corporel : dans quelle mesure doit-on prendre en compte l'existence d'un "état antérieur" ou de "prédispositions pathologiques" dont la victime serait porteuse dans l'évaluation d'un préjudice distinct ?

La question de l'état antérieur de la victime est donc aux confins de la responsabilité et de l'indemnisation.

Elle est surtout au cœur du contentieux de la responsabilité médicale où les définitions (état antérieur, prédispositions pathologiques, antécédents) dans leur acception médicale et juridique se recoupent. Contentieux dans lequel également le fait générateur de responsabilité (l'acte de soins) intervient parfois dans une perspective d'amélioration dudit état antérieur…

Et s'il n'y avait les CRCI pour troubler un ordre jurisprudentiel établi (même si quelques égarements et dévoiements mériteront d'être soulignés), la question n'aurait d'intérêt que purement doctrinal.

 

1. Des principes acquis

 

1.1. La neutralité de l'état antérieur au stade de l'appréciation de la responsabilité

 

L'existence chez la victime de prédispositions ou d'une réceptivité personnelle au dommage a pu être rapprochée, en son temps, du "fait non fautif de la victime".

D'aucuns ont alors affirmé que lorsque les prédispositions de la victime contribuaient à l'aggravation du dommage, le responsable devait bénéficier d'une exonération partielle.

Pourtant, le droit de la victime à la réparation intégrale de son préjudice, même si elle y a participé, devrait faire échec à tout partage, dès lors que sa participation n'a pas été fautive.

Aujourd'hui, la question ne devrait plus se poser, puisque la jurisprudence, dans son unanimité, refuse toute prise en compte du fait non fautif de la victime.

 

C'est à travers le prisme de la causalité que la notion d'état antérieur est désormais appréhendée.

Bref rappel des théories classiques de la causalité juridique :

-      La causalité adéquate : on ne retient que les conséquences normales et prévisibles du fait causal,

-      L'équivalence des conditions : touts les faits ayant concourus, à quelque degré que se soit, à la réalisation du dommage sont pris en compte,

-      La proxima causa : seule la cause chronologiquement la plus proche de la réalisation du dommage est considérée.

L'équivalence des conditions est d'application constante, ce qui d'emblée, devrait nous permettre de penser que tout dommage corporel causé, aggravé et même révélé par un fait accidentel est susceptible de faire l'objet d'une indemnisation par le responsable dudit fait.

Et peu importe sur le fait générateur de responsabilité n'ait pas "crée" le dommage mais "déclenché" une pathologie certes existante mais asymptomatique, parfois même ignorée de la victime. Le fait générateur du dommage est bien la cause de l'état de la victime et son auteur doit, a priori, assumer la réparation intégrale du préjudice subi.

 

Ainsi, l'existence d'un état antérieur ne fait pas obstacle à l'établissement d'un lien de causalité entre un fait générateur de responsabilité, qu'il crée ou déclenche un nouvel état, et le dommage de la victime.

Bien plus, "l'état antérieur" devient un critère positif dans la démonstration causale.

L'état antérieur ou plutôt son inexistence est un indice du caractère transfusionnel d'une contamination VIH ou hépatite C ; un indice parmi d'autres, certes plus important, telle l'exclusion d'autre mode de contamination.

La consécration de l'état antérieur comme élément d'appréciation de la causalité est consacrée par la jurisprudence relative au vaccin contre l'hépatite B. Par quatre arrêts du 9 mars 2007, le Conseil d'Etat énonçait expressément les critères permettant de retenir l'imputabilité de pathologies démyélinisantes, telle la sclérose en plaques, à la vaccination contre l'hépatite B. Parmi ceux-ci, l'absence d'état antérieur, permettant d'exclure que la victime est invalidée par une sclérose en plaques avant même la vaccination.

Dans de récents arrêts du 22 mai 2008, la Cour de Cassation suit le chemin du Conseil d'Etat en considérant que la preuve de l'imputabilité pouvait être rapportée au moyen de présomptions graves, précises et concordantes. Nul doute que l'inexistence d'un état antérieur sera au rang de ces présomptions.

En définitive, la théorie de l'équivalence des conditions est a priori très protectrice des victimes. C'est au stade de l'indemnisation que la notion d'état antérieur produit ses effets.

 

1.2. L'incidence de l'état antérieur au stade de l'indemnisation

 

1.2.1. La distinction "état antérieur asymptomatique" et "état antérieur invalidant et consolidé"

Si le principe de la réparation intégrale est le fer de lance des conseils de victimes, celui selon lequel le défendeur ne doit pas être condamné à réparer un dommage qu'il n'a pas causé, incluant en cela, un dommage qui résulterait d'un état pathologique antérieur, est fréquemment rappelé en défense.

Mais que l'expert constate l'existence d'un état antérieur ou non, la causalité juridique est acquise. Reste à cerner l'imputabilité médicale du dommage à l'accident.

S'est alors posée la question de savoir si le dommage final devait être considéré comme indivisible (et donc, faire l'objet d'une entière réparation par le responsable) ou s'il pouvait être divisé (de sorte que seule une fraction du dommage serait imputée au défendeur).

La doctrine (notamment, G. VINEY et P.JOURDAIN) a proposé de distinguer :

-      "Les prédispositions sans manifestations externes dommageables", qui n'ont aucune incidence sur le droit à réparation : il n'existait pas de déficit fonctionnel avant l'accident, pas de gêne dans la vie courante, pas de restriction au niveau de l'exercice d'une activité professionnelle.

Dans ce cas, l'auteur doit réparer l'intégralité du préjudice dans sa dimension personnelle et patrimoniale.

-      Et "les états pathologiques consolidés et stabilisés", auxquels sont assimilés les "incapacités résultant d'une évolution inéluctable d'un état pathologique préexistant" lesquels pourront être pris en considération (J. NGUYEN THANH NAH, RTD civ 1976 "l'influence des prédispositions de la victime sur l'obligation à réparation du défendeur de l'action en responsabilité").

 

Lorsque la victime était atteinte d'une incapacité fonctionnelle avant même l'accident, l'expert évalue le taux d'incapacité imputable à l'accident en tenant compte de la capacité initiale (nécessairement réduite) et la capacité actuelle (plus réduite encore).

 

Il ne s'agit pas d'une simple soustraction afin que soit prise en compte la modification de la nature du handicap. Il peut, mais ce n'est pas là une obligation de l'expert, être fait recours à la "formule de Gabrielli"

Soit, C1 : la capacité initiale réduite et, C2 : la capacité restante après l'accident Þ Incapacité imputée à l'accident = (C1-C2)/CI

Ex : incapacité initiale de 40% et incapacité causée par l'accident de 20%

C1 = 100-40 : 60 et C2 = 100- (40+20) : 40

Þ Incapacité imputée à l'accident = (60-40)/60=0.33,

Soit 33% et non 20%

 

Si l'arithmétique se veut rassurante, seule une description de la vie de la victime avant et après l'accident permet de tendre vers une juste indemnisation.

 

Ainsi, idéalement, devrait plus être pris en compte, la modification du mode de vie de la victime du fait de l'aggravation du handicap que la seule aggravation quantitative. Dans ces conditions, l'incidence de l'état antérieur en terme d'indemnisation serait limitée.

 

Ainsi, ce n'est que si les prédispositions de la victime se traduisent déjà par un préjudice que l'on peut évaluer au moyen d'une incapacité antérieure clairement définie, que le responsable pourrait voir son obligation indemnitaire diminuée : celui-ci n'ayant qu'aggraver un dommage, une incapacité préexistante, il est légitime qu'il ne répare que le préjudice nouveau, l'aggravation qui lui est imputable.


Si au contraire, les prédispositions n'étaient que latentes, et n'engendraient ni conséquence ni incapacité, le responsable devra réparer tout le dommage subi.

Et cela sera le cas que ladite pathologie préexistante était déjà connue de la victime, ou qu'elle était ignorée et découverte à l'occasion même de fait dommageable.

Les chambres civiles de la Cour de Cassation, refusent très généralement et de manière constante de tenir compte d'un état pathologique antérieur, sans manifestation dommageable externe, pour réduire le droit à réparation de la victime. Tel est également le cas lorsqu'une infirmité préexistait mais qu'elle n'était pas à l'origine d'un déficit fonctionnel ou une perte de capacité de gains.

La Cour de Cassation a ainsi eu l'occasion d'affirmer, à plusieurs reprises en raison notamment de la résistance des juges du fonds que nous aborderons dans la seconde partie concernant les "égarements jurisprudentiels", que le droit à indemnisation de la victime ne peut être réduit si l'état antérieur ou les prédispositions n'entraînaient aucun état invalidant dès lors que l'accident a été l'élément décompensateur, déclencheur d'une pathologie antérieure à l'atteinte.

Ex : Cass Civ 2, 28 février 1996 : concernait une personne dont l'état psychologique avait été déficient mais qui, au moment de l'accident, exerçait une activité professionnelle et menait une vie personnelle et familiale que l'on peut qualifier de normale. Au terme du rapport d'expertise judiciaire, l'invalidité avait été imputée à l'accident à hauteur de 50% afin de prendre en considération ce que l'expert considérer être un "état antérieur". Le défendeur, fort des conclusions expertales, entendait ainsi obtenir un partage de responsabilité. Il ne fut pas suivi par la Cour d'Appel et la Cour de Cassation rejeta son pourvoi considérant que "les tendances pathologiques de la victime n'avaient aucune manifestation extérieure au moment de l'accident"

 

Et la Chambre criminelle a adopté la même position, écartant toute incidence des "prédispositions" sur la réparation due à la victime.

Ex 1 : Cass crim 14 février 1996 : une personne, blessée dans un accident de la circulation, décède d'un infarctus trois semaines après. La conductrice est d'abord poursuivie pour homicide involontaire puis requalification en blessures involontaires. Elle fit également déclarer irrecevable l'action civile des ayants-droits, la Cour considérant que le décès ne présentait qu'un lien indirect avec l'accident du fait de la pathologique cardiaque présentée par la victime antérieurement à l'accident. Cassation de la Chambre criminelle aux motifs que "l'article 221-6 du Code Pénal n'exige pas qu'un lien de causalité direct et immédiat existe entre la faute du prévenu et le décès de la victime ; qu'il suffit que l'existence d'un lien de causalité soit certain".

Ex 2 : Chambre criminelle 30 janvier 2007 (Bull crim n°23, RSC 2007.299, D2007 AJ 868) : décision dans le même sens avec un attendu de principe plus explicite : l'imputabilité au dommage corporel doit être appréciée sans qu'il soit tenu compte des prédispositions de la victime dès lors que celles-ci n'avaient pas eu de conséquences préjudiciables au moment où s'est produit le dommage.

Ex 3 : Cass soc, 17 juillet 2007 : Victime d'un accident de la circulation, évaluation de l'IPP en lien avec l'accident limitée par un collège d'experts à 30%, ces derniers prenant en considération un état antérieur dès lors que "la moelle subissait avant l'accident une strangulation, à la fois par la discarthrose antérieure C6C7 et par l'uncarthrose postérieure C4C5 sur un canal cervical rétréci avec le bloc fonctionnel constitutionnel C5C6". La Cour d'Appel retient ce taux minoré pour ce motif. La Cour de Cassation refuse cette prise en compte de l'état antérieur, "le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable".

 

Principe corolaire posé par la Cour de Cassation : lorsque le fait dommageable n'a pas seulement aggravé une incapacité antérieure, mais a transformé radicalement la nature même de l'invalidité, la jurisprudence ne tient plus compte de cette incapacité préexistante même extériorisée : la victime est indemnisée de son entier dommage tel qu'il résulte de sa nouvelle incapacité. L'hypothèse que l'on cite souvent pour illustrer ce principe est celui du borgne devenu aveugle après le fait dommageable. La transformation de l'incapacité exclut en fait la prise en compte de son existence.

Ex : Il s'agissait d'une personne victime d'un accident de travail, sans IPP. Onze plus tard, elle présente une ostéochondrite de la hanche droite (manifestations : douleurs localisées au niveau de la hanche, limitation dans mouvement de rotation et à la marche, étiologie inconnue mais pas exclusivement traumatique) qu'elle rattache à l'accident de travail. L'IPP est évaluée à 12%, l'expert retenant 2/3 pour l'invalidité préexistante et 1/3 pour l'accident. Pourvoi en cassation de la victime au motif que l'intégralité de l'incapacité devait être prise en charge au titre de l'AT. La Cour de Cassation rejette le pourvoi au motif que "si l'aggravation d'un état pathologique préexistant due ç un accident du travail n'occasionnant antérieurement aucune IPP doit être indemnisée en totalité au titre de l'accident de travail, il en est autrement d'une aggravation postérieure imputable pour partie à une autre cause, notamment à l'évolution normale d'un état pathologique préexistant".

 

1.2.2. Quid de l'appréciation de "l'évolution normale d'une pathologie antérieure"

Si la distinction que nous venons d'aborder permet de poser des principes univoques quant à l'incidence ou non que peut avoir l'état antérieur sur l'indemnisation de la victime, reste la question de "l'évolution normale de la pathologie", eaux troubles entre les deux termes de la distinction susmentionnée.

Généralement, l'évolution normale de la pathologie antérieure est assimilée à "l'état pathologique consolidé et réduit l'indemnisation et la Cour de Cassation, toute aussi constante sur ce point, refuse de réparer la part de l'aggravation du dommage imputable à l'évolution normale d'un état pathologique préexistant, celui-ci étant considéré comme un dommage distinct de celui dont responsable le défendeur.

Il semble en effet légitime que soit prise en considération au moment de l'évaluation du préjudice, l'évolution normale d'une pathologie antérieure qui, à terme, aurait engendré un préjudice, et ce, indépendamment de l'intervention d'un tiers.

"A terme", oui, mais quel est ce terme et peut-on réellement le déterminer? Est-il légitime de prendre en compte l'évolution d'une pathologie, aussi prévisible soit-elle, mais qui n'est en fait que potentielle ? Peut-on ignorer que cette évolution se serait produit à moyen voire même à long terme alors que le fait dommageable a accéléré sa concrétisation ? Comme prendre en considération ces mois, ces années de répits qui ne seront pas en termes d'indemnisation ?

 

2. Une notion dévoyée

2.1. Les égarements jurisprudentiels

2.1.1. Quand l'expert, encouragé par le juriste, se fait devin…

Il est des lieux communs qu'il n'est pas vain de rappeler : pour déterminer le préjudice consécutif à un fait dommageable, chacun son rôle. L'expert a pour unique mission d'éclairer le Tribunal sur les faits médicaux qui lui sont soumis ; il ne doit s'immiscer dans aucune déduction juridique et n'a pas à se préoccuper de la façon dont le juge tiendra compte de l'état antérieur, de savoir quelle méthode de réparation il utilisera.

Revenons un instant sur l'arrêt du 28 février 1996 précité. Il importe de distinguer l'état antérieur, au sens médical du terme (les troubles psychologiques antérieurs à l'accident et retenus par l'expert à hauteur de 50%) et l'état antérieur au sens où les juristes l'entendent (un état antérieur, sans manifestation externe, sans incidence professionnelle ou fonctionnelle).

Cette distinction, il pourrait être utile que nous l'exposions à l'expert au décours de la réunion d'expertise afin d'éviter que des conclusions de nature "médicale", parfois trop péremptoires, soient reprises in extenso par le juriste.

D'un point de vue probatoire, la "présomption de pleine capacité" est à l'expertise médicale ce que la présomption d'innocence est à l'instruction. La recherche d'un état antérieur est à mon sens justifiée que lorsque les conséquences dommageable apparaissent comme anormales ou nettement disproportionnées eu égard à la nature ou l'intensité du traumatisme. Le sentiment, souvent rapportée par les victimes dans les suites d'une réunion d'expertise, d'être "mis en examen" en serait allégé.

Cette distinction entre l'appréciation de l'expert et celle du juriste mérite d'autant plus d'être soulignée que si la jurisprudence civile est établie et constante dans son principe (malgré quelques égarements en pratique…), l'appréciation des CRCI de la notion d'état antérieur est moins limpide, et même, entretient ostensiblement une confusion entre l'état antérieur dans sa dimension médicale et celle dans son acception juridique. J'y reviendrai.

Les névroses post-traumatiques illustrent parfaitement cette confusion des genres.

Les experts abondent souvent dans le même sens et s'accordent pour admettre que les névroses post-traumatique se développent le plus souvent sur un terrain prédisposé. Si un sujet sain et équilibré n'est pas à l'abri de manifestation psychopathologique après un traumatisme (qui est ou non occasionne des lésions corporelles), il est souvent (trop souvent?) considéré qu'il existe un terrain favorisant l'éclosion des troubles névrotiques (terrain anxieux, hystérique, asthénique…). On peut lire alors que "le fait dommageable n'est qu'un prétexte", "le rôle de la personnalité antérieure est considérable". Il est importe qu'un sapiteur psychiatre soit désigné. (exemple dossier CIVI VERSAILLES)

Les interrogations de l'expert sur l'évolution prévisible de l'état antérieur en l'absence du fait générateur de responsabilité, donnant ainsi prise à l'argumentaire en défense du responsable qui tendra à voir la part indemnitaire mise à sa charge limité au différentiel entre ce qu'aurait été cet "état antérieur évolué" et l'état consolidé de la victime.

Le juriste doit se refuser à de telles prospectives qui relèvent plus de la divination que de la science, et a fortiori, du droit.

Demeurons très pragmatique : ce que l'on répare c'est le préjudice présent eu égard à une situation passé et non pas eu égard à un "futur éventuel". Pour reprendre l'exemple précité de la névrose traumatique, il n'est pas justifié de distinguer un pourcentage d'incapacité afférent à la névrose post-traumatique de celle concernant une prédisposition névrotique, une structure psychologique fragile.

 

2.1.2. Quand "état antérieur" et "perte de chance" s'emmêlent…

Monsieur L. (atteinte neurologique et antécédent d'épilepsie) est admis à la Clinque C. pour exploration d'un nodule pulmonaire d'apparition récente. Suites opératoires simples. Puis trois chutes dans sa chambre, la troisième à l'origine d'un traumatisme crânien et coma. Il décède deux jours plus tard d'un hématome sous dural.

L'expert considère notamment que la notion de risque de chute étant connue, le recours à une précaution supplémentaire du type "contention au fauteuil ou au lit" s'imposait.

 

En première instance, condamnation solidaire du chirurgien (10%), du pneumologue (10%) et de la clinique (80%) et indemnisation intégral du préjudice au motif que "les fautes commises sont directement à l'origine du décès de M. L., celui-ci étant décédé uniquement des suites de la troisième chute".

 

La Cour modifie les modalités de répartition de la contribution à la dette [chirurgien (15%), du pneumologue (15%) et de la clinique (70%)] et surtout, revient sur l'étendue du droit à indemnisation considérant que "Monsieur L. présentait un état neurologique antérieur grave à l'origine de chutes, que le préjudice de la victime et des proches doit s'analyser en termes de perte de chance, dès lors que l'état de santé de M.L. était altéré par ses antécédents, les experts relevant …des antécédents d'adénome hypohysaire opéré, des crises d'épilepsie, détérioration cognitive avec ralentissement idéo-moteur…Que les fautes conjuguées des praticiens et de la clinique ont fait perdre au patient une chance réelle et sérieuse d'éviter une chute mortelle au décours d'une crise d'épilepsie…Que ce taux de perte de chance doit être évalué à 50% de l'indemnisation allouée"

 

La notion "d'antécédents" se rapporte ici à celle d'état antérieur dès lors que l'existence d'antécédents à vocation à avoir une incidence sur l'étendue du droit à indemnisation.

 

On note néanmoins que les antécédents pris en compte par la Cour sont sans rapports avec la nature du fait générateur (un traumatisme crânien faisant suite à une chute).

 

En fait, la Cour, au contraire de la jurisprudence de la Cour de Cassation, adopte une définition de l'état antérieur/antécédents similaire à celle des CRCI.

 

Il s'agit de faire produire des conséquences, en terme d'indemnisation, à l'évolution considéré, à tort, comme prévisible d'un état général, pas nécessairement pathologique, mais moins "bon" que celui dont on dirait qu'il est en "parfaite santé".

 

Tel fut le cas dans l'exemple de Monsieur L.. Et le raisonnement de la Cour est impropre. Pour preuve, la Cour n'a pas défini l'étendue de la prétendue incapacité initiale résultant de ces "antécédents" mais n'a retenu qu'un "état de faiblesse" en lien avec cet état antérieur mal défini, faiblesse qui aurait favorisé le risque de chute et donc concouru à la réalisation du dommage. C'est là que le perte de chance intervient et que les athéniens s'éteignirent.  

Plus "saisissant" encore. Extrait de l'intervention de magistrats lors d'un colloque : "Si l'état de la victime était tel avant l'accident que l'expert peut dire qu'en toute vraisemblance, la victime n'avait plus que six mois à vivre, il est évident que l'on tiendrait compte des prédispositions" ("Etat antérieur dans la réparation du préjudice corporel en droit commun, appréciation du médecin légiste et modalités de la réparation par le magistrat", J LE GUET et G JUILLIEN).

Au contraire, cela ne relève pas de l'évidence. Le pronostic vital à 6 mois, 1 an…n'est pas ce que le juriste doit attendre de l'expert. L'état antérieur ne doit pas se confondre avec au mieux de la prospective, au pire de la divination.

Poussons le raisonnement à son paroxysme : personnes âgées, celles porteuses du VIH mais asymptomatique, celles ayant subi à un traitement par hormone de croissance extractive contaminée mais qui n'ont pas développé la MCJ (et ce n'est pas une hypothèse d'école) verront, s'ils venaient à être victime d'un accident lambda, la traduction indemnitaire de leur préjudice diminuée ?...

 

2.2. Les CRCI, fauteur de troubles

L'appréhension de la notion d'état antérieur par les CRCI justifierait à elle seule cet exposé.

2.2.1. Etat antérieur et indemnisation

Pour illustrer ce propos, prenons l'exemple du dossier de Madame K. qui a donné lieu à un avis de la CRCI de BAGNOLET le 1er juillet passé.

Il s'agit d'une femme de 44 ans, qui fait pratiquer une interruption volontaire de grossesse. L'intervention est hémorragique, les suites sont marquées par des douleurs abdominales importantes. Un scanner met en évidence une "fistule vésico utérine". Cure de la fistule en laparotomie, mise en place d'une sonde pendant plusieurs mois.

L'expert conclut que la "rupture de la paroi utérine ayant provoqué une communication entre la cavité utérine et la vessie" ne résultait pas d'une faute du praticien mais constituait un aléa thérapeutique.

 

L'Expert précisant que "si le dommage subi est bien directement imputable à un acte de soins, il résulte à la fois d'un accident médical non fautif et de l'état antérieur de Madame K., qui ont tous deux participé à sa réalisation".

 

Et de conclure précisément "…que l'état antérieur de la patiente est intervenu dans la réalisation du dommage à hauteur de 50%".

 

La CRCI rendra un avis conforme aux conclusions de l'expert au terme duquel "la réparation du dommage subi par Madame Hortense K. incombe à la solidarité nationale à hauteur de 50% des préjudices".

Mais quel était cet état antérieur ? Madame K. était, avant cette intervention, déjà mère de trois enfants. Il avait fait été fait recours à une césarienne pour les deux derniers accouchements. L'expert gynécologue considérait ainsi que ces "deux césariennes avaient fragilisé sa paroi utérine ; que le tissus cicatriciel s'est rompu sous la pression du au passage de la sonde d'aspiration ; qu'ainsi, si la perforation a bien été provoquée par la canule d'aspiration en per-opératoire, l'état bi cicatriciel de l'utérus de la patiente a favorisé sa survenue".

L'état antérieur de cette femme qui justifie une réduction de moitié de son indemnisation est donc caractérisé par une fragilité, un peu plus importante que la "normale", de la paroi de l'un de ses organes, son utérus…

Fut également évoqué "l'évolution inéluctable de l'état antérieur". Mais comment un utérus fragile peut, sans fait générateur de responsabilité ou d'indemnisation au titre de la solidarité nationale, peut évoluer seul de façon défavorable ?

Bien entendu, la discussion au cours de la réunion d'expertise fut vive.

Et l'expert, dont le nom sera tu, d'avouer, ou plutôt d'admettre que cette définition de l'état antérieur est bien particulière aux missions CRCI. Qu'étant également expert judiciaire, il aurait certes, dans un rapport judiciaire, rapporté l'existence de cette fragilité relative mais sans la qualifier d'état antérieur…

Ainsi, le "livret de l'expert", document de travail dont semblent disposer certains experts CRCI, rappelle que celui-ci devra préciser si le patient présentait un état antérieur susceptible de représenter un état de vulnérabilité spécifique.

Là est donc la définition CRCI de l'état antérieur : un état de vulnérabilité spécifique dont la définition relève d'une appréciation strictement médicale et reprise ainsi par les CRCI. Il est vrai que les juristes ne sont pas majoritaires au sein des CRCI et qu'il est de bon ton d'y avoir un "discours" technique…

A cet égard, citons opportunément un président de CRCI : "Force est de reconnaître que les victimes sont perdues lorsqu'elles se présentent devant les CRCI. Elles ne saisissent guère le sens et la portée de l'expertise dont elles ont fait l'objet et une assistance serait souhaitable. Je pense qu'elles pourraient être assistées par un avocat et surtout par un médecin. Il s'agit en effet de débattre de problèmes techniques médicaux. Les problèmes juridiques posés par la loi de 2002 sont simples et parfaitement maîtrisés par les commissions. "Expérience et attentes d’un président de CRCI" Jean GUIGUE* Responsabilité n°27 – Septembre 2007

 

Quant à la question de l'évaluation de l'indemnisation et donc de l'abattement du chef de l'état antérieur, l'état bi cicatriciel de l'utérus de Madame K aurait, selon l'expert, concouru à hauteur de la moitié de la réalisation de son préjudice.

Paradoxal, ce d'autant plus que l'on est dans le cadre d'un aléa thérapeutique, qu'il s'agit donc de la réalisation d'un risque connu de complication propre à ce geste opératoire. Une femme primipare avait donc vocation à subir les mêmes déconvenues.

50%, cela est précis. Interrogeant l'expert, dont le nom sera définitivement tu, sur le raisonnement tenu pour parvenir à une telle précision, j'obtins pour toute réponse qu'il s'agit "d'un calcul à la louche". Vous apprécierez l'oxymore.

Comment expliquer une telle distorsion entre la définition juridictionnelle de l'état antérieure et celle des CRCI ?

La justification que j'imagine est que s'agissant d'une indemnisation par la solidarité nationale, et donc par des fonds publics, il y a lieu d'indemniser que ce qui est strictement en rapport avec l'aléa. Si l'on fait sien ce mode de raisonnement "comptable", rien de choquant que la victime soit moins bien indemnisée que dans une procédure contentieuse?...

Définition en fait non favorable aux victimes car vocation à diminuer l'indemnisation finale, et c'est finalement là le comble du système instauré par la loi du 4 mars 2002 pour permettre une indemnisation jusqu'alors inexistante dans certaines hypothèses et, en tout état de cause, plus rapide et aisée à obtenir pour les victimes…

 

2.2.2. Etat antérieur et recevabilité

Nous l'avons rappelé ce matin, pour être éligible à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, il convient, conformément aux dispositions de l'article L1142-1-II du CSP, de rapporter la preuve de :

-      L'existence d'un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale,

-      L'imputabilité directe à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins,

-      Caractère anormal des conséquences de l'acte au regard de l'état de santé de la victime comme de l'évolution prévisible de celui-ci

-      Caractère de gravité de ces conséquences

Si les conséquences de l'appréciation de l'état antérieur par les CRCI sont évidentes en termes d'indemnisation, on retiendra également son incidence, plus pernicieuse, s'agissant de la recevabilité même de la demande d'indemnisation.

 

2.2.2.1. Evolution anormale de l'état

Ex : Cour Administrative d'appel de BORDEAUX, 17 avril 2008 : Il s'agissait d'une intervention pratiquée aux fins de biopsie d'une tumeur et éventuelle exérèse ; intervention suivie d'une paralysie des membres inférieurs. Qualifié par l'expert d'aléa thérapeutique et ouvrant droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, les seuils de gravité étant largement atteint.

Néanmoins, la CRCI puis le TA ont exclut la victime du champ de l'indemnisation au motif que "l'aggravation importante des troubles moteurs de Monsieur X à la suite de l'intervention chirurgicale du 28 février 2002 ne constituait pas une conséquence anormale de l'état de santé de ce dernier comme de l'évolution prévisible de cet état".

La paraplégie n'était ainsi pas une conséquence anormale au regard de son état de santé antérieur alors que les troubles dont il souffrait avant l'intervention n'étaient pas particulièrement importants, qu'il menait une vie normale, que les médecins avaient indiqué que la tumeur était d'évolution "très lente", qu'à la suite du traitement radiothérapeutique, son état s'est stabilisé, que les experts avaient en tout état de cause souligné le caractère "imprévisible" de l'évolution ou non de la tumeur.

Le TA retient uniquement qu'il ne résultait pas du rapport d'expertise ordonné par la CRCI (et non par la juridiction…) que les troubles que la tumeur provoquait, pouvaient en l'absence de radiothérapie se stabiliser ou s'atténuer.

L'état antérieur est ici sans commune mesure avec les séquelles de l'aléa thérapeutique (paraplégie). Il n'est pas évalué (et pour cause, troubles sans conséquences sur la vie professionnelle et personnelle de la victime).

Dans une telle hypothèse, l'incidence de l'état antérieur dans le processus indemnitaire CRCI ne s'effectue :

-      Ni au stade de l'appréciation de la causalité car l'application de l'équivalence des conditions aurait permis de retenir le rôle causal de l’intervention,

 

-      Ni au stade de l'indemnisation, avec un éventuel abattement au titre d'un état antérieur dûment évalué,

 

-      Mais, à un stade avancé, cel